• Gisenyi, au bord du lac Kivu

     

    Nous avons quitté Kigali, la voiture chargée des gros bagages de matériel et de vêtements, le lundi 13 novembre après-midi. Plus que d'habitude encore, la route est sinueuse, pentue et le trafic de véhicules en tous genres plus dense que dans le  nord-ouest d'où nous sommes arrivés hier. La prudence et le savoir-faire de notre chauffeur Nshuti nous rassurent.

     

    Nous longeons le massif des Virunga, dont les anciens volcans se détachent majestueusement à l'horizon exceptionnellement dégagé. Plus loin encore, perdu dans la brume, le gigantesque cône tronqué du Niracongo encore occasionnellement en activité nous annonce le Congo voisin.

    La descente vers Gysenyi nous permet d'entrevoir au hasard des lacets l'étendue argentée du lac Kivu qui se confond avec le ciel lumineux. Avant Gisenyi, nous virons à gauche dans la direction de Rubona, au bord du lac, où se trouve l'école maternelle Saint François d'Assise.

     

     

    La voiture est à peine immobilisée devant la maison bleue qu'une joyeuse bande d'enfants de tous âges accourt par vagues sur la route pour cerner « mama Chantalé ! ». Les retrouvailles et les embrassades sont débordantes d'affection spontanée. Herdione, Marie-José, Aristide, Daphrose, les instituteurs, et Vestine, la femme d'ouvrage, nous embrassent avec le sourire.

     

    Les jours suivants, où que nous allions, des enfants nous accompagnent gaiement, chacun voulant nous prendre par la main. Lorsque nous rendons visite à l'école, la classe entonne en chœur un chant de bienvenue en français, anglais et kinyarwanda. Un joli bouquet de fleurs rouges est offert à Chantal.

     

    La prise des présences est pour chaque élève l'occasion d'une leçon de langage et de socialisation par la reconnaissance de son prénom sur une étiquette qu'il doit retrouver dans un panier pour la fixer ensuite dans le tissage d'un panneau en feuilles de bananier en prononçant la phrase « Je m'appelle ... » Toute la classe répète ensuite le prénom.

     

    Petite leçon de calcul : grâce aux étiquettes restantes, on compte le nombre des absents. On compte aussi le nombre de garçons et de filles et on inscrit les totaux sur un coin du tableau réservé à cet effet sous la date du jour préalablement recherchée avec un calendrier. On les compte ensuite  le nombre des enfants présents.  La leçon introductive se termine lorsque chaque enfant est invité à pointer du doigt un visage souriant ou un visage grimaçant collés au mur en disant pourquoi il se sent de bonne ou de mauvaise humeur. Quelle magnifique façon de commencer ainsi la journée ensemble !

     

    La réunion des professeurs permet de prendre des nouvelles de chacun et de faire le point sur le troisième trimestre dans la nouvelle implantation Tous s'accordent pour dire que la  maison bleue leur convient bien. Ils ne regrettent pas celle du bord du lac qu'ils ont dû quitter fin juillet sur ordre des autorités pour emménager dans la nouvelle. L'administration n'a pas pu accepter l'absence de réponse à plusieurs de ses lettres de la part de l'ancien instituteur en chef qui a disparu de l'école à cette occasion, abandonnant ses enseignants au milieu du gué.

     

    La perte de près de 70 élèves, dont tous ceux des trois premières années de primaires, en cours d'année fut une expérience douloureuse pour tous et laisse notre école avec seulement une cinquantaine d'enfants en classes maternelles. Il est clair que la maison bleue ne permet pas d'en accueillir davantage et nous bloque pour l'avenir. Nous avons malgré tout fait le choix de garder les 4 instituteurs, mais les minervals ne couvrent plus nos frais en salaires et en entretien.

     

    Mais surtout, trop de petits enfants traînent encore sans école maternelle dans les collines voisines. Que faire ?

     

                                                                           À suivre                                      

    Freddy

    Gisenyi, ...Suite

     

    Pour comprendre la suite et vous aider à suivre le fil conducteur de notre cheminement, il nous faut remonter au début de notre séjour. En arrivant le premier soir dans le petit hôtel Palmarès Lac Kivu qu'Herdione nous a réservé, nous nous trouvons en face d'un hôte des lieux et de l'hôtelier. Freddy et Chan racontent les raisons pour lesquelles une équipe renforcée de l'ASEL arrive cette fois à Gisenyi. Nous leur parlons des difficultés auxquelles nous avons dû faire face cette année et de la fermeture sine die de notre école. Nous venons aussi pour comprendre ce qui s'est passé.

     

    Nos deux interlocuteurs sont touchés par notre récit et l'un d'eux se met à téléphoner. Il nous annonce l'arrivée immédiate de l'inspecteur du secteur qui a pris la décision de fermeture de l'école.

    Celui-ci nous explique que face à l'absence de réponse à plusieurs lettres importantes de la part de l'ancienne direction, il lui avait été impossible de maintenir l'école ouverte. Il nous dit aussi son regret sincère d'avoir dû prendre cette mesure et son souhait de voir l'école retrouver une implantation digne de sa réputation. Il insiste en affirmant qu'il s'agit selon lui de la meilleure école du secteur : nous pouvons compter sur son appui et sa collaboration active.

     

    Le lendemain, Chan reconnaît dans une parcelle voisine de notre logement une femme seule avec 5 enfants dont une enfant de la rue a été prise à l’école. Nous apprenons que la maman et ses cinq enfants squattent la grande maison avec l'autorisation du propriétaire. La bâtisse en briques adobe (argile séchée au soleil) est délabrée et le sol est en terre battue. Il n'y a ni eau ni électricité et plusieurs fenêtres ont été condamnées pour décourager les intrusions, celles qui restent sont sans carreaux. Le terrain est vaste et est constitué de deux terrasses séparées par un talus. La maison se trouve en retrait sur la terrasse donnant sur la route. La terrasse supérieure est occupée par des cultures de légumes et une dizaine de bananiers. Serait-ce la solution d'avenir pour notre école ?

     

    Des contacts sont pris avec le propriétaire que nous rencontrons en ville. Nous lui racontons l'histoire de l'école et lui adressons notre demande. Il nous déclare d'abord son intention de vendre. Le prix est prohibitif et nous déclinons immédiatement. Nous lui proposons des travaux de réhabilitation et d'adaptation en échange d'un loyer réduit et d'un contrat longue durée. Sensible au côté humanitaire et désintéressé de notre projet, il change d'avis et nous donne son accord : un loyer de 100 €/mois pendant deux ans (nous payons actuellement 160 e par mois pour la petite maison bleue) puis une adaptation du montant entre 200 et 250 € par la suite. Nous sentons le vent favorable, mais il nous faudra encore négocier avec un notaire un contrat en bonne et due forme qui protège l'école notamment en cas de rupture de bail.

     

    Des entrepreneurs sont invités à nous soumettre leur devis : creusement d'un accès en pente douce, nivellement du terrain devant la maison, pose d'une balustrade métallique de 35 m sur le mur de soutènement qui borde la route, abattage de murs intérieurs pour créer des classes spacieuses, crépissage et peinture des murs intérieurs et extérieurs, ouverture des fenêtres condamnées et pose de vitrage sur l'ensemble, construction de trois toilettes sur le côté de la maison. Le premier devis nous décourage : 8.000€. Nous songeons déjà à abandonner. Nous allons prier à la Maison Saint Benoît de Kigufi. Un évangile choisi au hasard touche Chan : la parabole des talents, selon St Mathieu (Mt 25, 14-30). Une application à notre situation lui fait se poser la question : la peur du risque peut-elle seule guider notre choix ? N'allons-nous pas entendre nous aussi le maître blâmer notre étroitesse d'esprit et de cœur comme il l'a fait pour le serviteur pourtant moins bien loti que les autres puisqu'il n'avait reçu qu'un talent ? Nous repartons de là encouragés, mais non sans de fortes tentations qui nous poussent à nous rétracter...

     

    Un deuxième et un troisième devis se rapprochent de l'acceptable : 3.600 € pour l'un et un peu plus de 2.600€ le second. C'est évidemment celui-ci que nous choisissons. Il se fait que l'entrepreneur, qui se prénomme Léonard, est aussi celui qui a construit la maison, voici une vingtaine d'années, ainsi que plusieurs hôtels de luxe des environs. Sa motivation : le caractère désintéressé du projet et sa volonté de ne pas laisser des étrangers s'occuper seuls des enfants de la localité. Mieux encore : il nous promet une finition dont lui et nous serons fiers ! Un ami homme d'affaire n'arrive pas à croire que le devis soit si bas de la part d'un entrepreneur connu pour la qualité et le haut standing de ses réalisations. Déjà un premier don important (près d'un cinquième de la somme) nous parvient d'une généreuse donatrice.

     

    Auprès de l'administration, toutes les portes nous sont ouvertes par l'inspecteur de secteur rencontré le premier soir, Emmanuel Lavoisier, qui nous accompagne dans plusieurs bureaux de personnes haut placées. Lorsque nous quittons les lieux, il nous annonce que le permis de bâtir est déjà accordé, avant même qu'il ne nous soit officiellement notifié ! Il s'engage à faire connaître l'école et sa nouvelle implantation dans le secteur.  Au cours de notre prière, nous lisons l'évangile du jour : la parabole des mines, selon St Luc (Lc 19, 12-29) ... Quelle magnifique confirmation !

     

    Le contrat de bail est signé en présence de Thomas, notaire de l'administration. Nous obtenons du propriétaire Joseph que la durée soit de 10 ans renouvelable, que le loyer mensuel, exprimé en devise rwandaise, reste fixe à partir de la troisième année et qu'en cas de rupture de bail il nous rembourse la partie non amortie des investissements consentis (exemple : si le contrat est rompu dans 6 ans, le propriétaire nous rembourse 40% du montant investi).

     

    Les enseignants sont informés de la bonne nouvelle : les yeux brillent d'émotion et de joie. Le mauvais passé s'estompe et une entreprise riche de promesses et d'avenir pour les enfants des collines s'ouvre. Ils en seront la cheville ouvrière. A eux de veiller au grain et de promouvoir l'école qui leur est confiée, avec le soutien actif d'un comité de parents qu'ils ont la charge de remettre sur pied. Notre séjour arrive déjà à sa fin. C'est avec le sentiment d'un travail bien fait que nous quittons Gisenyi et les bords du lac Kivu qui miroite au soleil.

     

    Longue vie à l'école Saint François d'Assise de Gisenyi.

     

                                                                                                              Freddy

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